Par Patrick Hetzel, Député du Bas-Rhin et Martine Daoust, ancien Recteur d’académie
A moins d’un an de la fin du quinquennat, la jeunesse dont François Hollande avait décidé d’être le président est dans la rue, son avenir mis entre parenthèse : la recherche, source de l’innovation de demain, connait de nouveaux rabotements.
Les jeunes et l’espoir devaient être au cœur de ce quinquennat. Un an tout juste avant la fin de la partie, les jeunes sont dans la rue et les espoirs de croissance économique par l’innovation sont rabotés d’un « trait de plume budgétaire » ont dit les 7 prix Nobel dans un article du Monde daté du 24 mai dernier. Mais qui s’en soucie ?
De nombreux chercheurs, enseignants, élus ont exprimé leur inquiétude quant au rabotage des crédits de la recherche. Un peu plus de 250 millions, ce n’est pas rien. Et même s’il s’est beaucoup dit, écrit, qu’il s’agissait d’un peu plus de 1% des budgets, au-delà des chiffres, c’est un signe fort qui est donné au monde de la recherche : il est une simple variable d’ajustement.
Finalement, le symbole de ce tour de bonneteau financier est plus important que les sommes engagées. C’est un marqueur représentatif de l’indifférence générale et de la méconnaissance des décideurs envers le monde de la recherche et de son importance pour rester dans le concert des Nations qui comptent au niveau mondial.
En effet, le temps de la recherche n’est pas le temps politique. Plusieurs mandats s’écoulent entre une décision de soutien à un programme et les retombées sociales, sociétales et économiques. Ce qui peut expliquer cet éloignement, mais ne l’excuse pas. La recherche et l’innovation d’aujourd’hui, c’est le confort, la santé, l’indépendance économique de demain. La recherche, tant publique que privée, est un des leviers structurants du futur de notre économie. Les ruptures scientifiques puis technologiques préparées dans les laboratoires sont essentielles pour la création des emplois de demain.
La recherche est le creuset des technologies qui permettront de développer les innovations et la richesse de notre Nation dans le futur. Elle contribue à la place et donc à la grandeur de notre pays en le maintenant dans le peloton de tête des pays développés. Et surtout, la recherche est l’un des plus efficaces instruments, sur le plan structurel, dans la lutte contre le chômage car elle est source de compétitivité de nos entreprises. C’est aussi un levier considérable d‘attractivité dans le cadre des échanges scientifiques. Un outil comme le plan ERASMUS ouvre un espace exceptionnel au rayonnement scientifique français. Il est très intéressant d’ailleurs de voir à quel point les chercheurs et les étudiants se sont emparés de ce levier pour dynamiser leurs travaux.
La recherche française est très diversifiée, tant par ses acteurs que par ses objets. C’est le résultat de son histoire et du rôle qu’elle a joué dans la construction du savoir. Cette diversification est source de richesse et ce serait certainement une régression que de l’amputer de son élan. La recherche ne se conçoit qu’à l’échelle internationale et les chercheurs ont compris très tôt l’intérêt des échanges.
La recherche a cette singularité d’être à l’interface entre plusieurs mondes : celui de la production des connaissances, de leur enseignement et de leurs applications économiques.
L’indifférence au fonctionnement de la recherche est certainement entretenue par la complexité de son organisation et à son manque de lisibilité. Mais tout le monde s’en souvient d’un seul coup quand il s’agit de glorifier une prouesse technologique, histoire d’être sur la photo.
On ne peut pas mettre en avant la jeunesse et sa formation nécessaire à la dynamique du pays, et en même temps fragiliser l’outil majeur de la construction des connaissances.
La recherche, ses chercheurs, ses étudiants, ont besoin de stabilité, de sérénité, de valorisation et de considération. L’ignorer et ne donner que des signes de méfiance voire de défiance, c’est priver le pays du pari de la croissance et de la connaissance.
Au regard des liens profonds qui unissent démocratie, vérité et démarche scientifique, ainsi que les dangers qui menacent leur fragile équilibre ; le décideur politique doit prendre conscience de l’importance du soutien économique, moral et sociétal à une recherche de qualité.
Pour toute cette indifférence, ce refus de considération, notre recherche est en péril, les étudiants en stage post doctoral à l’étranger ne reviennent plus, ce qui est une stratégie perdante-perdu pour la France. Formés pendant plus de 10 ans dans l’enseignement supérieur français, ces jeunes vont exprimer leur valeur et leur imagination ailleurs. Le retour sur investissement pour le pays est perdant. Le manque d’attractivité pour des métiers passionnants pour lesquels le ratio salaire/investissement personnel est clairement négatif affaiblit notre outil de recherche et d’innovation.
Depuis quatre ans, la dynamique a été ralentie. Il y eu d’abord la loi Fioraso de 2013 si cette loi ne revient pas sur l’essentiel de la loi de 2007 sur l’autonomie, elle a largement bridé la dynamique initiale en alourdissant la gouvernance et l’organisation du système : dans les universités, les conseils d’administration sont plus nombreux, la création d’un second organe de gestion à la mission incertaine – le conseil académique -, entrave la gouvernance du Président. Elle infantilise l’ensemble des universitaires. La énième refonte des regroupements, sous la forme de communautés d’universités et établissements, avec parfois, des mariages forcés a créé des structures plus artificielles que fonctionnelles. On a préféré faire passer les structures avant les projets et les idées. Ces dernières années ont été consacrées dans les établissements à d’interminables discussions d’organisation, au détriment de la concrétisation des projets de recherche ; elles ont provoqué une lassitude certaine et un découragement des acteurs de terrain.
Après la baisse des dotations de l’Agence nationale de la recherche, l’effondrement des crédits des contrats de plan État-région, les établissements d’enseignement supérieur ont découvert un mode de répartition budgétaire inédit jusqu’alors : les universités et les écoles d’ingénieurs bien gérées, celles qui avaient fait des économies grâce à une gestion sérieuse pour investir et par exemple réaliser des travaux ou lancer de nouveaux laboratoires de recherche, ont été ponctionnées de 100 millions d’euros. Et on vient d’inventer la pénalisation à la bonne gestion puisque le CNRS va être amputé d’une partie de ses ressources propres, fruits de la valorisation de l’innovation de ses chercheurs (idem pour le CEA, l’INRIA et l’INRA).
Enfin, la France qui est à la traine en ce qui concerne le nombre de brevets déposés (indicateurs de l’innovation), devrait se doter d’une stratégie ambitieuse de recherche qui devrait atteindre, comme pour ses partenaires européens, 3% de son PIB dans le cadre des accords européens. Pour toutes ces raisons, qui donnent à la recherche et à l’innovation une dynamique de société, il faut redonner à la connaissance sa place comme source d’espoirs à tout un pays. La ponction budgétaire réalisée est un message détestable adressé à la jeunesse ; c’est aussi une formidable erreur de jugement quant aux espoirs apportés par la recherche et l’innovation en matière d’indépendance économique et de progrès social. Une nouvelle fois, la gauche au pouvoir montre qu’elle ne comprend pas où se situent les enjeux réels pour une France qui gagne et qui rayonne.
28 juin 2016
Source: Atlantico